Prévenir le risque d’inondation avec le curage des cours d’eau ? Le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, annonce un changement de réglementation pour « faciliter le curage », après les crues hors normes qui ont frappé dans le Pas-de-Calais.
Le curage des cours d’eau, « une fausse bonne idée »
Le curage, à savoir l’extraction des sédiments accumulés au fond d’une rivière ou d’un canal, provoque pourtant des désaccords chez les scientifiques. Philippe Lagauterie, l’ancien directeur régional environnement dans le Pas-de-Calais et membre de France Nature Environnement, dénonce une « fausse bonne idée » qui peut mener à de faibles bénéfices.
« Si vous curez une partie de la rivière en amont, vous pouvez probablement faire quelques avantages localement, mais vous allez, en aval, envoyer de l’eau plus vite et en plus grande quantité. On ne peut pas aménager un endroit sans penser aux conséquences de cet aménagement quelques kilomètres plus loin », dit-t-il.
Curer peut avoir des conséquences « catastrophiques » du côté de l’environnement : « le curage va détruire le fond biologique de la rivière, que l’on appelle le biotope, qui détient un pouvoir épurateur ».
Le curage, à adapter en fonction des cas
« Le risque serait de transformer les rivières en fossés antichars, et de déporter la charge des inondations sur des zones à l’aval », complète Emmanuel Soncourt, hydrogéologue indépendant. Mais les experts insistent sur la nécessité de curer les cours d’eau au cas par cas, selon les régions. Une pratique qui n’est pas à bannir selon eux.
Jean-Marie Aversenq, directeur du syndicat mixte des rivières de l’Aude (Smmar), compare l’arc méditerranéen au Pas-de-Calais: « Dans notre cas, le curage n’est pas pertinent car nous sommes soumis à des épisodes pluvieux intenses, avec des cumuls sur des temps très courts. Toute la stratégie de protection consiste à ralentir les écoulements, alors que curer des rivières accélère ces écoulements », dit-il.
« Les inondations dans le nord de la France sont des inondations dites de plaine avec une durée de submersion beaucoup plus lente. L’eau monte plus lentement, mais reste aussi beaucoup plus longtemps, donc le curage des rivières peut être une opportunité pour vidanger plus rapidement les zones inondées », estime-t-il.
« Apprendre aux gens à vivre avec ce risque permanent »
Au niveau local, plusieurs canaux du Pas-de-Calais sont d’ailleurs régulièrement curés par les Voies navigables de France. Hydrologues et écologues doivent, malgré tout, être impliqués dans tout projet d’aménagement. Les pouvoirs publics ont aussi pour mission « d’apprendre aux gens à vivre avec ce risque permanent » et « d’augmenter la résilience de ce qui est construit quand c’est possible », par exemple, « ne pas mettre de chaudière au sous-sol de la maison », ou encore « rehausser les sols des habitations », poursuit Philippe Lagauterie.
Une autre solution possible : la création de zones d’extension de crue. Dans le Var, un plan d’aménagement coûteux est engagé jusqu’en 2026 sur les 4 km de la Nartuby qui traversent Draguignan et Trans-en-Provence. En juin 2010, des pluies torrentielles y ont fait 23 morts et deux disparus : des villages ont été dévastés, des zones industrielles anéanties, la prison de Draguignan détruite… Les travaux visent à élargir le lit de la rivière, l’équivalent d’une crue trentennale, pour faire monter sa capacité à 180 m3/seconde.
Onze ponts modifiés et 150.000 m3 de matériaux déplacés
Alain Caymaris, maire de Trans-en-Provence explique que « il s’agit pour l’essentiel de retirer des constructions humaines ». Pour élargir et renforcer les berges, onze ponts vont être modifiés et 150.000 m3 de matériaux déplacés.
Mais cette rivière de vallée n’est pas menacée par l’envasement qui touche les cours d’eau des plaines : à cause de la sécheresse, elle est régulièrement à sec. Pour Charlène Descollonges, hydrologue indépendante, « il faut changer de stratégie » : pomper l’eau et la rejeter à la mer est très énergivore et ne suffira pas. Rehausser les digues coûtera très cher et ne suffira pas non plus ».
L’ingénieure souhaite que la France prenne exemple sur les Pays-Bas, un pays « beaucoup plus exposé que nous aux inondations », qui a fait le choix de « laisser de la place aux rivières ». Nicolas Camphuis, codirecteur du Centre européen de prévention du risque d’inondation (Cepri), partage cette opinion, et souhaite « empêcher la nature d’avoir un comportement normal demande des investissements colossaux, qui peuvent être difficilement sans effets ».