Claire Nouvian : « la réalité, c’est que des milliers d’animaux marins disparaissent chaque seconde »

Claire Nouvian, présidente de l’association Bloom, alerte sur les dangers de la surpêche. C’est au micro de Cynthia Illouz, que l’écologiste met en exergue une problématique environnementale trop peu connue, aux conséquences désastreuses.

Quelles sont les missions de Bloom ? 

Les missions de Bloom sont de protéger l’océan, éviter la catastrophe climatique et l’effondrement de la biodiversité. Nous souhaitons empêcher la destruction des emplois les plus vertueux dans le secteur de la pêche car nous faisons tout faux dans ce secteur : on détruit les emplois, on détruit les finances publiques, on détruit les écosystèmes qui stockent du carbone ainsi que la biodiversité.

C’est un terrible massacre dont on n’a très peu conscience. C’est même très effrayant, parce que la réalité, c’est que des milliers d’animaux marins disparaissent chaque seconde, tout simplement pour qu’on ait du poisson pas cher dans nos assiettes.

Vous vous êtes donnée comme mission d’alerter les pouvoirs publics sur les nombreux dysfonctionnements, quelles sont les problématiques que vous adressé?

On se bat contre les causes systémiques du problème. Il y a un énorme problème avec l’encouragement financier qu’on donne, sous forme de subventions publiques depuis des décennies.

On a donné énormément d’argent aux flottes de pêche pour qu’elles construisent des unités de pêche. Nous avons donc aujourd’hui des bateaux qui sont trop grands, trop nombreux, trop efficaces. À un moment, même l’Union européenne s’est dit que ce n’était pas une très bonne idée.

Nous avons fini par retirer l’argent public à la construction des navires, mais on continue à financer une partie de la modernisation des bateaux. Par la suite, les flottes de pêche mondiales ont importé toutes les technologies militaires qui permettent aujourd’hui de cibler le poisson et de le trouver. Daniel, un chercheur très apprécié à l’international, dit que « nous avons déclaré la guerre aux poissons ! »

Quels sont ces dispositifs mis en place ces dernières années pour pêcher plus de poissons ?

Nous avons vraiment utilisé des technologies de guerre pour trouver le poisson. Les augmentations de capacité de navigation par assistance technologique satellite, les radars, sonars : tout est optimisé. 

Il y avait tellement de thons pêchés dans l’océan Indien, que pendant très longtemps il suffisait de partir avec un bateau de pêche de se rapprocher d’objets qui étaient flottants pour en avoir. Parce que les thons s’agrègent autour d’objets flottants. Les pêcheurs ont trouvé que c’était une manne incroyable donc ils ont attrapé le thon comme ça.

Et puis il y a eu de plus en plus de pêcheurs et de plus grands bateaux qui sont devenus des congélateurs. Ils pouvaient embarquer énormément de tonnes de thons. Évidemment, la pression de pêche a été telle sur les grands prédateurs que l’on s’est rendu compte qu’en 60 ans, 90% des grands prédateurs marins ont disparu.

Les espadons, les thons, les requins…  Les pêcheurs utilisent maintenant des radeaux qu’on appelle des dispositifs de concentration de poissons. Les bateaux ont commencé à mettre des DCP dans l’océan. Ça marchait tellement bien qu’ils en ont mis 100, puis 200, puis 600 et finalement 1000 par bateau.

On se retrouve maintenant avec des centaines de bateaux industriels dans l’océan Indien. Chacun ont tellement de DCP (destruction, carnage, pillage), qu’ils vont mettre à l’eau ces radeaux flottants, équipés de GPS qui permettent aux bateaux de regarder où se trouvent tous ces poissons, souvent sous le DCP .

Aujourd’hui, ils ont mis non seulement un sonar à l’extérieur, mais aussi à l’intérieur. 

Il existe un sonar qui permet de détecter de la biomasse. Donc maintenant, le navire et le capitaine jouent à des jeux vidéo.  

Les objets flottants envoient des signaux pour indiquer où ils sont, s’il y a de la biomasse ou non. Il existe même des ultrasons, qui passent dans la vessie des poissons. Et en fonction de la résistance qu’il y a ou non dans le poisson, on arrive à identifier l’espèce. Ce n’est plus de la pêche, c’est une opération de siphonnage de tout ce qui est vivant dans l’océan. 

Quelles sont les conséquences de cette surpêche facilitée par la technologie ?

Nous sommes face à un effondrement catastrophique de la biodiversité, simultanée à l’effondrement du climat. Nous avons déstructuré les flottes de pêche artisanale dans beaucoup de pays, qui sont aujourd’hui les plus nécessiteux. En même temps, le changement climatique pousse les ressources naturelles vers les pôles. Les poissons se déplacent année après année vers les pôles. Ces bombes sociales, biologiques, sont ahurissantes et posent cette question absolue de savoir quel est le niveau de maîtrise de la technologie qu’on devrait avoir dans nos sociétés. 

Si nous sommes capables de tout détruire, alors nous sommes capables de nous priver de ces capacités technologiques. Si on est capable de siphonner l’océan, de tuer tout le vivant sur terre, comme disait le philosophe Günther Anders, « nous sommes capables d’être responsables de notre outil technique ». Selon Olivier Reich, c’est à nous de tourner le dos à cette capacité qu’on a de tout détruire, y compris nous-mêmes. C’est ce que l’industrie de la pêche n’a pas encore compris. 

La mer, la protection de la biodiversité font partie des objectifs de développement durable, à atteindre d’ici 2030. Comment ces sujets gagnent en visibilité ?

Je ne suis pas porteuse de bonnes nouvelles, je me dis que le monde est en train de s’effondrer. On dénonce sur des plateaux télé, les gens rigolent et on a envie de dire « mais vous vous rendez compte ? » Nous détruisons les conditions de survie pour nos propres enfants.

D’autre enfants viennent donc on n’a pas d’autres choix que de se réveiller et d’agir très vite. La France est la deuxième puissance maritime mondiale, mais rien ne se fait. Malgré le fait qu’on pourrait penser que ce n’est pas une priorité pour Emmanuel Macron et son gouvernement, mais ils n’ont juste pas conscientisé la chose.

Pour les aires marines protégées, le président instrumentalise toujours les annonces environnementales en les associant aux échéances électorales. Il a créé un sommet de l’océan à Brest en février, peu de temps avant les élections présidentielles. 

Macron nous disait protéger « fortement » 30%, puis 10% des eaux françaises… Donc 30% c’est déjà un mensonge assumé. Donc son but est de protéger fortement 10% des eaux, alors on se dit « bon, fortement, ça veut dire qu’il appelle à une protection forte ».

C’est ce que le niveau international appelle une « note hexagone » : endroit où aucun prélèvement n’est fait, donc c’est peut-être ça la protection forte. 

En fait ce qu’il appelait une protection forte, dans son esprit ce n’était rien. Puisque simultanément, toutes les activités industrielles sont finalement permises. C’est-à-dire qu’aucune n’est interdite. Donc techniquement, on peut donc les autoriser si besoin. C’est donc c’est un énorme mensonge, totalement cynique.

À l’heure actuelle, quel pays profite le plus de cette expansion économique de la surpêche ?

Aujourd’hui, on est dans une situation où on a des pêcheurs néerlandais industriels qui inventent une course permanente à la technologie et à l’efficacité pour attraper du poisson.

Tous les grands pêcheurs, évidemment à force d’être très efficaces, ont vraiment vidé les mers et la seule façon d’attraper les poissons plus petits, ceux qui passent à travers les mailles du filet, c’est d’inventer des technologies qui permettent d’aller les déloger. 

Donc ils ont inventé la pêche électrique. Les Néerlandais, par exemple raclent avec des chaluts de fond, mais en plus, ils ont électrifié les chaluts. Évidemment c’est radical. La première année, ils sont passés de 30 à 40 millions de poissons. Ils ont fait +10 000% sur leur chiffre d’affaires. Ils adorent car pour eux c’est la pêche magique. 

En très peu de temps, c’est la mer brûlée : il n’y a plus rien. Donc ils se déplacent, ils vont vider la mer du Nord, ils vont arriver en manche et ils arrivent chez nos pêcheurs en détresse de voir la mer se vider. Les pêcheurs alertent les autorités publiques, sans résultats.

Dans quel cadre votre association, « Bloom », intervient ?

Les pécheurs se tournent vers nous, Bloom. Ils nous alertent, et on voit leur chiffre d’affaires qui est effectivement en train de chuter. La France, elle, défend les industriels néerlandais. Quand on va au Parlement européen, on dit : il faut interdire cette pêche électrique. On se bat littéralement en 2018, on finit fatigués, mais on gagne le vote et on gagne le trilogue. Le trilogue c’est cette négociation entre le Conseil, le Parlement et la commission européenne. 

Aujourd’hui, à Dunkerque, le port ne contient littéralement que 5 bateaux. La criée a fermé. Qui sont les responsables ? Les autorités publiques. 

En 2022, on se retrouve dans cette situation où les Néerlandais ont inventé une autre méthode de pêche. Cela s’appelle la « senne démersale » : une autre forme de chalut. Cette fois-ci, c’est un déploiement hyper rapide des filets, donc c’est un polygone qui couvre en une prise 3 km². 

C’est-à-dire que 5 chalutiers néerlandais, en une journée, ils ratissent l’équivalent de la surface de Paris. Les pêcheurs, eux, recommencent à nous solliciter. Ils nous disent : « au secours ! Ils ont inventé autre chose. C’est trop efficace, ils prennent tout ». Ils alertent aussi les autorités qui ne bougent pas. 

Comme d’habitude, avec Bloom, on va au Parlement avec eux. On devient les représentants des pêcheurs côtiers. Ce n’est pas notre fonction a priori mais on va au Parlement européen. On gagne le vote : interdiction de la « senne démersale » dans les eaux territoriales françaises pour sauver ce qu’il reste de notre pêche côtière.

La négociation est secrète, à huis clos. Là, à Bruxelles, la France se retrouve donc avec la Commission européenne et le Parlement européen. La France y défend les pêcheurs néerlandais industriels. Les pêcheurs côtiers sont désespérés. 

Que faire pour se mobiliser ?

Il y en a 50 fois des exemples comme ça. C’est notre quotidien. Oui, ils sont en train de dévaster les territoires, ils sont en train de dévaster les économies locales… Pourquoi ? Pour être fidèles aux industriels néerlandais.

On se rend compte que le gouvernement français est insensible à la pression. Certains parlementaires disent tout de même de faire attention à la destruction de nos territoires. 98% des pêcheurs demandent l’interdiction de ce dispositif néerlandais. 

On se demande alors comment peut-on se mobiliser ? Il faudrait financer les ONG, du type Human Rights, Foodwatch, Amnesty International, et Bloom évidemment. Amnesty effectue un travail incroyable pour les droits humains, Human Rights et FoodWatch aussi… merci à eux ! Avec plus d’argent, nous aurions plus de chercheurs pour la recherche. Des pétitions sont mises en place : c’est un outil pour faire entendre notre voix.

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