À Saint-Sernin, dans le sud de l’Ardèche, les rideaux métalliques de la coopérative Vivacoop sont définitivement tirés après 75 ans d’activité. Seules quelques palettes évoquent encore les heures de gloire de l’arboriculture locale.
Le déclin progressif des vergers
« Dans les années 80, la voie ferrée passait au pied de la coopérative. Toutes les nuits, les trains étaient chargés de fruits », se remémore Marc Dejoux, un habitant du village et lui-même arboriculteur. Plus de 20 000 tonnes de fruits y étaient alors collectées, conditionnées et expédiées chaque année. Mais la concurrence étrangère et la maladie des pêchers ont peu à peu eu raison de la production, et seules 416 tonnes étaient traitées à Vivacoop en 2023.
La coopérative, qui n’avait plus que huit employés, a fini par mettre la clé sous la porte. « Le problème, c’est qu’il n’y a plus d’arboriculture en sud Ardèche, hormis la châtaigne et le kiwi », déplore Daniel Vernol, ancien président de Vivacoop. Avant, « il y avait des pêchers dans toute la plaine », assure aussi l’adjoint au maire de Saint-Sernin, Claude Imbert, en pointant ce qui n’est plus qu’une vaste étendue d’herbes.
« Vous voyez tous ces peupliers ? C’est le signe de la déprise agricole », regrette l’élu en montrant également 70 hectares de terre, dotés de réseaux d’irrigation mais abandonnés faute de rentabilité économique.
Au tournant du siècle, un quart des fruits à noyaux français étaient cultivés en Drôme et en Ardèche. Vingt ans plus tard, la production a été divisée par deux et un tiers des vergers ont disparu. Selon les zones, ils ont été remplacés par de la vigne, des céréales, des campings ou laissés à l’abandon.
À la fin des années 90, Marc Dejoux a lui aussi commencé à abandonner ses vergers. « On nous achetait le kilo de pêches 0,96 franc et 30 centimes pour les pommes… Je ne sais pas produire des fruits à ce prix-là donc j’ai préféré arrêter », explique-t-il. « Il fallait produire de moins en moins cher et la concurrence espagnole et italienne a été très forte », souligne Christophe Claude, qui dirige la coopérative fruitière Rhoda-coop dans la Drôme. En 31 ans à ce poste, il a vu les fusions, absorptions et disparitions se succéder dans le secteur. Tant et si bien qu’il ne reste plus aujourd’hui que trois coopératives fruitières dans toute la région Rhône-Alpes (Rhoda-coop, Lorifruit et Sicoly) contre plus de dix dans les années 1990.
Les vergers ont également souffert de la sharka, une maladie virale des fruits à noyaux, rappelle Sophie Stevenin, chargée de mission à la chambre d’agriculture régionale. La virulence de cette maladie sur les pêchers et, dans une moindre mesure, les abricotiers, a obligé une partie des arboriculteurs du secteur à arracher leurs arbres, qu’ils n’ont pas toujours replantés.
Les efforts de relance et les obstacles
Depuis quelques années, les acteurs des filières fruitières cherchent à stopper le déclin. Si elle existe toujours, la sharka est surveillée de près et relativement maîtrisée. « Les vergers ne se touchent plus donc c’est plus simple de maintenir la maladie sur une zone », explique Sophie Stevenin.
Pour certaines espèces, comme la pêche et la nectarine, le travail de mise en valeur des produits, avec la création de l’appellation Pêches et abricots de France en 2009, commence à payer. « On n’a pas redéveloppé des volumes importants, mais il y a un bon taux de renouvellement des exploitations », se réjouit Bernard Darnaud, président de l’AOP et représentant de la Drôme à la Fédération nationale des producteurs de fruits. Son homologue de la FNP Fruits en Ardèche, Aurélien Soubeyrand, assure avoir « l’espoir de relancer une dynamique avec des exploitations qui permettent de dégager un revenu et des jeunes qui s’installent ». « Mais pour trouver un équilibre financier, il faut que les fruits soient payés à leur juste prix », dit-il.
Le changement climatique complique toutefois la donne. En ce début de printemps, les températures en dents de scie ont affecté les Bergerons, une variété d’abricots historique de la Vallée du Rhône. Les fluctuations météorologiques exacerbent les difficultés économiques et sanitaires, rendant la relance d’autant plus ardue.
Bien que l’arboriculture en vallée du Rhône ait connu un déclin significatif au cours des dernières décennies, les efforts pour revitaliser le secteur et surmonter les défis sont en cours. Avec des stratégies adaptées et une attention renouvelée à la qualité et à la durabilité, il est possible d’imaginer un avenir où les vergers de la Drôme et de l’Ardèche retrouveront une partie de leur ancienne prospérité