Consommer du chocolat ou du café en Europe avec la certitude de ne pas contribuer à la disparition de forêts au bout du monde : c’est ce que projette un texte de l’Union Européenne, qui vise à interdire les importations de produits issus de la déforestation et s’appliquera à la fin de cette année, au mois de décembre.
Virginijus Sinkevicius, le commissaire européen à l’Environnement, est revenu d’un voyage au Paraguay, en Bolivie et en Équateur destiné à désamorcer les inquiétudes, à l’heure où s’accélèrent les préparatifs. Voici les points-clés de cette législation inédite, formellement approuvée mi-2023 après l’accord conclu fin 2022 entre États de l’UE et eurodéputés :
Plusieurs produits concernés
L’UE est le deuxième destructeur de forêts tropicales derrière la Chine selon l’ONG WWF, à l’origine de 16% de la déforestation mondiale par le biais de ses importations (chiffre de 2017). Le texte interdit l’importation dans l’UE d’une série de produits, si leur production est issue de terres déboisées après décembre 2020.
Sont ciblés : soja, viande bovine, huile de palme, bois, caoutchouc, cacao et café — mais également des produits associés (cuir, ameublement, charbon de bois, papier…). L’interdiction s’imposera à partir de fin décembre 2024.
Les importateurs, responsables de leur chaîne d’approvisionnement
Les entreprises importatrices seront responsables de leur chaîne d’approvisionnement et devront certifier la traçabilité à l’aide de données de géolocalisation des cultures. Cela permettra aux autorités de réaliser des contrôles sur la base de l’imagerie satellitaire. Les petits opérateurs pourront faire appel à des entreprises de plus grande taille pour préparer leurs déclarations de « diligence raisonnée ».
L’UE promet son « étroit soutien financier et technologique » face aux critiques des pays producteurs qui s’alarment de contraintes coûteuses pour leurs petits cultivateurs. Insuffisamment équipés pour le moment, les cultivateurs devraient bénéficier de solutions, avec des téléphones portables pour communiquer les données géolocalisées des champs.
Bruxelles estime que les plus grosses entreprises, soucieuses de leur image, sont déjà largement préparées aux nouvelles exigences. Et l’UE a initié depuis plusieurs années un « dialogue » avec la Côte d’Ivoire et le Ghana, premiers producteurs mondiaux de cacao, pour fixer avec eux des critères de production « durables ».
Contrôles de pays à « risque » par les autorités européennes
Au moins 9% des volumes de produits provenant de pays considérés « à haut risque » de déforestation, devraient être contrôlés par les autorités européennes, qui devront effectuer des vérifications annuelles.
Les produits en provenance de pays considérés à « risque standard » ou « faible » feront l’objet de moins de contrôles, voire de procédures simplifiées. Cette classification des pays n’est pas encore finalisée par Bruxelles, et par défaut tous seront considérés comme à « risque standard » dans un premier temps.
Un sujet sensible pour les pays producteurs qui s’alarment de voir leur image dégradée s’ils sont étiquetés à « haut risque ». Les ONG s’inquiètent aussi des faibles effectifs mobilisés pour l’heure dans les États membres pour réaliser ces contrôles ; à peine une quinzaine en Allemagne, selon une récente enquête du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ).
Des sanctions « proportionnées et dissuasives »
Les sanctions en cas de non-respect seront « proportionnées et dissuasives », et devront représenter au moins 4% du chiffre d’affaires annuel total dans l’UE du fournisseur ou de l’opérateur défaillant, qui pourra en outre être exclu des marchés publics.
Mis à part le déboisement, la « déforestation » concernera aussi la conversion des forêts primaires ou écosystèmes forestiers naturels en forêts de plantation. A contrario, la définition retenue de « forêts » (arbres hauts de plus de 5 mètres) exclut d’autres écosystèmes boisés menacés ; en particulier la savane du Cerrado (Brésil/Paraguay/Bolivie), d’où provient une partie du soja importé.
Selon le WWF, le Cerrado pourrait perdre d’ici 2027 une surface équivalente à la République tchèque. L’extension des règles « à d’autres terres boisées » devra cependant être envisagée par la Commission européenne d’ici juillet 2024, avec possible révision législative.
Des importateurs en conformité avec les droits humains
Dans cette optique, Bruxelles est tenu d’étudier d’ici mi-2025 une possible extension à d’autres produits (comme le maïs), à d’autres écosystèmes riches en biodiversité (tourbières…), mais aussi aux institutions financières.
D’après l’ONG Global Witness, les banques basées dans l’UE ont accordé entre 2016 et 2020 près de 35 milliards d’euros de financements aux principaux groupes responsables de la déforestation, surtout dans l’agroalimentaire.
Les entreprises importatrices devront aussi « vérifier leur conformité avec la législation du pays de production en matière de droits de l’homme » en relation avec la déforestation. Le texte se réfère au principe de « consentement préalable, libre et éclairé » des peuples autochtones.