Gilles Bœuf est océanologue, président de d’Ethic Océan et professeur spécialiste de l’environnement et de la biodiversité. C’est avec force qu’il défend l’importance de « préserver la nature pour sauvegarder l’humanité. »
Parle-t-on assez des dangers sur la biodiversité?
A l’UICN à Marseille en 2022, au colloque mondial sur la protection de la nature et de l’environnement et on constatait que sur 20 ans, on a parlé huit fois plus du climat que du vivant.
Alors bien sûr, je ne suis pas en train de vous dire qu’il ne faut plus parler du climat, mais montrer que le combat pour le vivant est largement aussi important. Et la conclusion, il y a un an, ça avait été de dire finalement « vivons climat », c’est le même combat. Ce n’est pas toujours lié, mais c’est très souvent lié.
Que savons-nous des espèces de notre écosystème ?
Alors, les écosystèmes, c’est quoi ? Une construction du vivant. Deux mots. La terre, elle a 4,6 milliards d’années. C’est bien daté. Nous avons plein de méthodes pour faire ça. Et le vivant est là depuis 700 millions d’années de moins. A un peu moins de 4 000 millions d’années, le vivant apparaît.
Un morceau de terre française en Amazonie, la Guyane, 30 000 espèces au kilomètre carré. Elle part à la vitesse de la surface de la Grande Bretagne et chaque année, à ce rythme-là, on n’en aura plus à la fin de ce siècle.
Plus de la moitié de toutes les espèces connues vivantes de la Terre viennent de la forêt tropicale humide. L’équivalent marin, c’est le récif corallien, toujours français, c’est la Nouvelle-Calédonie, 5 à 6000 espèces au kilomètre carré. Construction du vivant et le corail, on en a perdu la moitié sur 50 ans. Le corail est super intéressant.
Le corail, c’est moins de 1 % de la surface de l’océan et c’est plus du tiers des espèces connues dans l’océan. Donc vous voyez l’intérêt de ces milieux, la forêt tropicale humide d’un côté, le corail de l’autre. Et je vous ai mis une ville chinoise, on parle beaucoup de la Chine, Shanghai, et bien c’est le tiers des Français dans la même ville.
Que pensez-vous alors de la crise climatique en tant que telle ?
Ce n’est pas sans conséquence. Nous avons abordé deux questions tout à l’heure, et c’est le climat qui change trop vite. Que le climat change, ce n’est pas préoccupant. Il a tout le temps changé. Ce qui se passe en ce moment, c’est qu’il change beaucoup trop vite. Jacques Attali citait les excès que l’on vit, par exemple en ce moment au Pakistan.
Quel est le principal problème causé par la crise climatique ?
N’oublions pas qu’il faisait à Bordeaux, le 18 juillet 2022, 42 degrés et qu’on a la sécheresse la plus terrible enregistrée en France depuis plusieurs siècles. Depuis la première semaine du mois de juin, qu’est-ce qu’il se passe ? C’est effectivement la remontée du niveau de la mer.
La mer remonte six fois plus vite depuis une vingtaine d’années, qu’elle n’avait monté depuis 3000 ans. Donc il se passe quelque chose et l’eau est plus chaude, donc elle prend plus de place. Deuxièmement, les glaciers, on l’a dit, fondent. On voit l’effondrement des glaciers au Chili en ce moment.
Quelle disparition d’espèce vous concerne le plus ?
Il y a cette espèce qui s’appelle esturgeon, ce poisson en train de disparaître. Il n’en reste même pas quelques centaines dans la nature. Un poisson fabuleux, il donnait le caviar. Et lorsque la révolution russe faisait que les Français de l’époque n’avaient plus de caviar, on s’est mis à vendre les œufs de caviar, les œufs de l’esturgeon de la Gironde dans des boîtes en cyrillique. Ça faisait chic et on les a éteints, effondrés.
Quelle conséquence inattendue du changement climatique notez-vous ?
Il vient apparaître quelque part mi-2019 : le Coronavirus. Les Chinois nous ont beaucoup menti au début, ils l’avaient depuis quelque temps. Rappelez-vous ce vol. On s’est beaucoup intéressé à la Pitié-Salpêtrière à Paris, avec mes collègues médecins. Le 20 janvier 2020, cet avion Oran-Milano premier cluster en Europe, ils étaient tous malades.
Le virus, n’a pas de tête, n’a pas de patte, n’a pas de dessin, n’a pas de cerveau. Il fait le tour du monde à une vitesse absolument incroyable. Ce qui n’aurait pas dû se passer s’est passé. Est ce qu’il aurait dû rester là-bas et est arrivé partout extrêmement vite. Préoccupations par rapport à notre sujet d’aujourd’hui.
Qu’est-ce qui résume le vivant ?
C’est quoi le vivant ? On me pose souvent la question. D’abord des bactéries. La Terre est une planète bactérie, ça veut dire une membrane. L’ADN est libre dans la cellule, il n’y a pas de noyau, et l’eau est au dedans et au dehors des échanges en permanence. Nous sommes couverts de bactéries. Chaque humain qui est là contient plus de bactéries dans lui et sur lui que de cellules humaines.
Ne l’oublions jamais, nous sommes un monde de bactéries. Nous mangeons ça tous les jours, on vit avec tous les jours, c’est génial. Il y en a quelques méchantes, il faut s’en occuper. Les protistes qui sont ici, les protistes sont beaucoup moins connus, en fait, c’est ça, des grosses cellules à noyau. Ça, ce sont des dinoflagellés, du phytoplancton, mais ce sont également les levures et sans levure il n’y a pas de pain, il n’y a pas de vin, il n’y a pas de bière, il n’y a pas de fromage, il n’y a pas de français. Donc quand on vient me dire “la biodiversité, c’est un truc d’écolo farfelu, tu sais, moi je n’en ai rien à faire”, attendez, on ne mange que cela et on ne coopère qu’avec cela.