L’exploitation des granulats marins, source essentielle de sable pour le béton, soulève des enjeux complexes entre développement industriel et respect de l’environnement, malgré une réglementation stricte.
Une pratique encadrée mais controversée
Au large de l’île d’Oléron, le Stellamaris, le plus grand cargo-sablier français, plonge un bras articulé dans l’océan. Cette technique d’extraction de sable, majoritairement utilisée pour la fabrication de béton, est strictement encadrée en France. Cependant, son impact environnemental suscite toujours des débats. Chaque jour, durant une à quatre heures, le navire effectue des allers-retours à 40 mètres de profondeur, pompant un mélange d’eau et de sédiments dans la concession « Chassiron B », située sur 1,3 km².
« On aspire tout sur une épaisseur de 20 à 30 cm sur deux mètres de large. L’impact est limité et acceptable », précise Frédéric Suire, responsable foncier environnement de l’entreprise allemande Heidelberg Materials, l’un des principaux opérateurs de cargo-sabliers en France.
Les 4 200 tonnes de sable récoltées sont ensuite débarquées au port de La Rochelle, où elles alimentent diverses industries locales. « On répond à un besoin local, dans une zone de chalandise de 30 à 50 km autour des ports sabliers », indique Laëtitia Paporé, directrice du secteur chez Heidelberg Materials. En plus du béton, le sable est également utilisé pour le maraîchage et le rechargement des plages.
L’extraction marine représente seulement 2% des 400 à 450 millions de tonnes utilisées chaque année en France, principalement extraites de carrières terrestres et de rivières.
Une réglementation stricte mais efficace
En France, l’exploitation des granulats marins est très encadrée par des réglementations exigeantes, contrairement à d’autres régions du monde. Sur le littoral, 17 concessions sont actives, chacune bénéficiant d’autorisations d’extraction renouvelables tous les 20 à 30 ans. Ce contrôle rigoureux s’oppose à la situation d’autres pays, comme l’Asie ou l’Afrique, où des « mafias du sable » exploitent cette ressource de manière illégale et destructrice.
« Des études d’impact sont obligatoires tous les trois à cinq ans », explique Frédéric Suire. Ces études permettent d’évaluer précisément les conséquences environnementales de l’extraction et de mettre en place des mesures correctives si nécessaire. En parallèle, les premières études de l’Union nationale des producteurs de granulats (UNPG) montrent une « explosion du retour de la faune et de la flore 10 ans après » la fermeture d’une concession en baie de Seine.
Les dangers de l’exploitation mondiale
La consommation mondiale de granulats a explosé, atteignant les 50 milliards de tonnes par an, soit trois fois plus que l’ensemble des sédiments transportés par les fleuves. Une demande qui met la pression sur les écosystèmes marins, comme le souligne le chercheur en géologie marine Éric Chaumillon : « Il faut des dizaines, voire des centaines de milliers d’années pour produire des grains de sable ». L’extraction représente ainsi un défi majeur pour la préservation des océans et des espèces marines.
Frédéric Suire rassure cependant sur la gestion raisonnée de cette ressource en mer. « La réserve est gigantesque mais on n’exploite jamais plus que nécessaire », assure-t-il. En France, cette approche permet de limiter les effets néfastes sur les milieux marins, comme le prouve l’étude de Laure Simplet, géologue à l’Ifremer. Aucune « détérioration du trait de côte » n’a été observée sur les sites étudiés en partenariat avec le Cerema.
La contestation des projets locaux
Malgré ces garanties, l’exploitation des granulats marins est loin de faire l’unanimité. Plusieurs projets ont été abandonnés sous la pression d’opposants, comme celui de la baie de Lannion (Côtes-d’Armor) en 2022 ou sur le banc du Matelier (Charente-Maritime) en 2019. Plus récemment, la prolongation de l’exploitation du gisement marin du Platin de Grave, au large de la Gironde, a été validée en avril 2023 malgré l’opposition de certains scientifiques et organismes de protection de la biodiversité.
Daniel Delestre, président de l’association Sepanso, dénonce cette décision, qualifiant l’exploitation de « non-sens écologique » dans un estuaire déjà fragilisé. « Des espèces de poissons comme le maigre, l’alose et l’esturgeon européen sont menacées », alerte-t-il, soulignant les dangers de cette activité pour les écosystèmes marins locaux.