Les « polluants éternels » aussi appelés les PFAS, alarment déjà sur plusieurs effets toxiques sur la santé humaine, notamment des cancers, alors que les connaissances sur ces substances restent à approfondir.
« L’un des problèmes les plus pressants pour la santé publique »
Quasi indestructibles et présents dans quantité d’objets et de produits, les substances per- et polyfluoroalkylés ou PFAS s’accumulent avec le temps dans l’air, le sol, les eaux des rivières, la nourriture et, in fine, dans le corps humain.
« Ce qui a commencé comme un soi-disant miracle, une percée technologique pensée pour son aspect pratique, a rapidement dégénéré en l’un des problèmes les plus pressants pour la santé publique et environnementale du monde moderne », a souligné en mars 2023 le directeur de l’agence de protection de l’environnement des Etats-Unis, Michael Regan.
Des polluants classés cancérogènes
Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), agence de lutte contre le cancer de l’Organisation mondiale de la santé, a classé en décembre 2023 deux des PFAS les plus répandus comme « cancérogène pour les humains » et « cancérogène possible ».
En cause: l’acide perfluorooctanesulfonique (PFOS) et l’acide perfluorooctanoïque (PFOA), les plus étudiés jusqu’alors dans cette grande famille et les deux interdits en Europe depuis 2019 et 2009, respectivement.
Pour le PFOA – auparavant classé « cancérogène possible » -, les dernières observations font état « d’indications suffisantes » de cancer parmi des animaux de laboratoire, « d’indications fortes » d’autres risques comme l’immunosuppression, et de cas « limités » de tumeurs rénales ou de cancers du testicule chez l’homme, selon l’agence de l’OMS.
S’il présente les mêmes risques potentiels, le PFOS n’est jusqu’alors associé qu’à des cas limités de cancers chez l’animal et à des « indications insuffisantes » de cancers chez l’homme.
Le risque de cancer peut cependant varier fortement selon différents facteurs, comme le niveau d’exposition à une substance. Le CIRC a ainsi dit s’attendre à ce que les travailleurs produisant du PFOA ou du PFOS ou utilisant ces substances directement dans la fabrication d’autres produits soient les plus exposés.
Des « effets nocifs et toxiques sur le métabolisme humain »
Si « les connaissances sur les risques sanitaires associés aux différents PFAS sont insuffisantes, voire absentes », des « effets nocifs et toxiques sur le métabolisme humain ont été observés pour plusieurs PFAS », a résumé l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD) française au printemps 2023.
En cas d’exposition prolongée, certains de ces composés chimiques de synthèse peuvent favoriser des cancers, affecter la fertilité et le développement du fœtus, ou encore favoriser les risques d’obésité, selon diverses études.
« Ils sont également suspectés d’interférer avec le système endocrinien (thyroïde) et immunitaire », a aussi exposé en France l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) en 2022, dans le sillage de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) en 2020. Mais tous les polluants éternels, et la toxicité potentielle de chacun, ne sont pas précisément connus, ce qui complique la surveillance sanitaire.
« Mise en danger de la vie d’autrui »
Les PFAS éveillent une attention grandissante dans plusieurs pays, comme les Etats-Unis, les Pays-Bas ou la Belgique. Elles représentent entre autres une menace sur la santé, et, en France, l’inquiétude se concentre notamment autour de « la vallée de la chimie », près de Lyon (sud-est).
Plusieurs initiatives judiciaires et règlementaires ont été lancées dans le monde contre ces « polluants éternels » et leurs fabricants, pour « mise en danger de la vie d’autrui ». La contamination de l’eau potable mais aussi du sol et de l’air est souvent évoquée. Au moins 45% de l’eau des robinets aux Etats-Unis est contaminée aux PFAS, selon l’étude d’une agence gouvernementale dévoilée en juillet 2023.
17.000 sites sont contaminés en Europe, dont 2.100 à des niveaux dangereux pour la santé (plus de 100 nanogrammes par litre), selon une cartographie inédite de 17 médias, publiée en février 2023. En France, plusieurs travaux parlementaires alertent aussi sur la santé, dont la proposition de loi d’interdiction du député écologiste Nicolas Thierry qui sera défendue jeudi.
Cyrille Isaac-Sibille (MoDem), un député de la majorité chargé d’une mission sur les PFAS par l’exécutif, pointe du doigt « un sujet de santé publique préoccupant » et appelé à « faire cesser urgemment les rejets industriels » contenant des PFAS, « sans attendre de restriction européenne ».
Multiplication des plaintes dans le monde
Tandis que les plaintes relatives aux effets des « polluants éternels » se multiplient, plusieurs accords ont été conclus dans le monde ces derniers mois pour solder des poursuites, dont un d’un montant record aux Etats-Unis.
Une proposition de loi écologiste visant à restreindre leur diffusion doit être examinée jeudi à l’Assemblée nationale. Plusieurs plaintes au pénal ont été déposées en Auvergne-Rhône-Alpes, et les groupes français Arkema et japonais Daikin ont récemment été assignés en justice au civil par la métropole de Lyon.
12,5 milliards de dollars versés entre 2024 et 2036
Le groupe américain 3M a accepté en juin 2023 de verser jusqu’à 12,5 milliards de dollars entre 2024 et 2036 dans le cadre des poursuites engagées aux Etats-Unis par plusieurs réseaux publics de distribution d’eau potable, pour financer des technologies de traitement des eaux contaminées par les PFAS. Cet accord a été validé le 29 mars par la justice.
C’est sa mousse à film aqueux (AFFF), utilisée par les pompiers pour éteindre les incendies avant de s’écouler dans le sol, qui était particulièrement visée. Selon les plaignants, l’entreprise était la seule à fabriquer de l’AFFF contenant du PFAS, une substance associée « à un risque accru de cancer et à d’autres problèmes de santé graves ».
3M déjà en cause en Belgique et aux Pays-Bas
3M, qui s’est déjà engagé à cesser toute fabrication de PFAS d’ici à la fin 2025, avait conclu en juillet 2022 un accord avec les autorités régionales de Flandre, en Belgique, prévoyant 571 millions d’euros pour assainir les sols et contrôler une éventuelle pollution de l’air autour de son usine de Zwijndrecht (nord).
Le gouvernement néerlandais a de son côté annoncé en mai 2023 tenir 3M pour « responsable » des dommages causés par des PFAS dans l’Escaut occidental, rejetés par cette même usine.
1,2 milliard de dollars du côté de Chemours, DuPont et Corteva
Chemours, DuPont et Corteva, trois autres groupes chimiques américains, ont conclu en juin 2023 un accord de près de 1,2 milliard de dollars, afin d’éviter des poursuites pour la contamination de l’eau potable à travers les Etats-Unis par des PFAS.
En Australie, le gouvernement a réglé à l’amiable en mai 2023 une action collective intentée après l’utilisation présumée sur plusieurs bases militaires de « polluants éternels » qui auraient contaminé les sols et les eaux souterraines.
L’accord, dont le montant est confidentiel, ne contient pas d’aveu de responsabilité de Canberra. Le recours collectif visait à obtenir 132,7 millions de dollars australiens (81,5 millions d’euros) d’indemnités pour quelque 30.000 personnes.