Romain Troublé est président de la plateforme Océan Climat et directeur général de la fondation Tara. C’est au micro de Cynthia Illouz, qu’il détaille comment comprendre et protéger l’océan.
Que représente la mer par rapport à la Terre ?
L’océan, c’est 2/3 de la planète. On vit sur un archipel, les continents. Et pourtant on est des terriens, on n’est pas des “merriens”. On est des terriens, on vit souvent dos à la mer et pourtant on en dépend chaque jour.
Devant l’Île-de-Ré, on croit qu’on peut tout y prendre, tout y jeter, sans avoir aucun impact. Et en fait, depuis une trentaine d’années maintenant, on se rend compte des limites de cet écosystème et de ses capacités à nous soutenir quelque part.
Et puis, c’est aussi 80% à peu près de la biosphère terrestre. Il y a des débats encore sur ce volume-là. Mais en tout cas pour donner une idée d’ordre de grandeur : le plus grand espace où on trouve la vie sur la planète, ce sont les océans. Cette biodiversité, elle est très importante dans la mer.
Quel est l’enjeu de comprendre la biodiversité des mers ?
Enormément de diversité d’espèces ont évolué, se sont différenciées, ont imaginé des stratégies pour vivre. Elles ont produit beaucoup de gènes différents, beaucoup de diversité pour la résistance et la solidité de ces écosystèmes. Tout ce qui est invisible dans la mer représente à peu près 9/10ème de ce qui vit dans la mer. Avec Tara, on est spécialiste de cela, l’invisible. On pêche tous les jours un truc qu’on ne voit pas. La vraie science, c’est souvent cela.
Une partie de cette biodiversité a été consommée par la chaîne alimentaire. Elle a transféré du carbone dans la chaîne alimentaire. Puis une partie de cette biodiversité a aussi coulé au fond des océans. Elle a sédimenté, et aujourd’hui le pétrole qu’on ramasse chaque jour, ce sont des millions d’années de stockage de cette biodiversité marine qui coule au fond des océans en permanence.
En faisant toutes ces choses-là, cette biodiversité, c’est aussi beaucoup de microalgues qui produisent quasiment autant de photosynthèse que ce qu’on peut trouver sur les continents. Donc c’est quelque part, un écosystème qui fait énormément d’oxygène sur la planète et qui est en fait pour moitié, de l’oxygène dont on profite aujourd’hui.
Quel type de biodiversité est le plus précieux dans nos océans ?
Aujourd’hui, la question c’est de comprendre l’océan. Il faut essayer de prédire comment il va changer. Il faut essayer de comprendre comment mieux le protéger. Moi, je crois vraiment qu’il y a des endroits à protéger sur la planète parce que ce sont des courants très importants. D’autres endroits sont moins importants à protéger. On n’en est pas encore là dans notre compréhension de cet écosystème.
Les récifs coralliens sont fantastiques de biodiversité, mais ce sont aussi des fantastiques barrières contre les érosions. Si beaucoup de pays, du Pacifique notamment, devaient payer des digues pour se battre contre l’érosion côtière, ça serait impossible. Les services rendus par cette vie marine sont incroyables et ont une valeur inestimable. C’est magnifique aussi. Et en plus, ce ne sont pas que des digues, ce sont aussi des formidables oasis de vie où les petits poissons se protègent des prédateurs. Ils y grandissent avant de pouvoir quitter le récif et se fournir notamment la pêche.
Que se passe-t-il concrètement dans ces barrières de corail ?
C’est aussi la guerre là-dedans. C’est la guerre pour trouver le nitrate avant les autres. C’est se faire protéger par un copain, et le nourrir en échange. C’est faire des deals sans arrêt, depuis la nuit des temps. Ils font des deals pour leurs déchets et leurs ressources. C’est une formidable écologie. C’est similaire à des territoires comme La Rochelle, c’est un peu un endroit où les gens se parlent, où on a des valeurs humaines. Là aussi les flux deviennent plus concrets.
Les floraisons de plancton, on appelle ça des blooms. Même quand on est en bateau, on les voit quand on sait regarder l’océan. Et ces écosystèmes-là sont très importants. Alors, avec Tara, on fait ça. On déploie des appareils dans la mer. Mais on ne ramène pas l’eau, ni les récifs coralliens entiers dans les laboratoires.
On ramène ce qui est dedans, tout ce qui est microscopique. On en fait des petites galettes. Et on stocke ça en laboratoire. Ce que l’on a se situe à l’origine entre la surface et 1000 mètres de profondeur. On a collecté 140 000 échantillons depuis dix ans. Et au moment où je vous parle, Tara est en train de quitter Dakar.
Quel est le voyage le plus marquant que Tara a entreprit pour la découverte de notre écosystème microscopique ?
On a passé un mois au Sénégal justement pour essayer de connaître mieux ce petit peuple des océans invisibles. C’est beaucoup de recherches. Mais il y a depuis toutes ces années, depuis 2006, beaucoup de productions scientifiques. Des scientifiques impliqués dans les projets de la fondation, bien sûr du CNRS, du CEA, de la Sorbonne université, de tous les Français évidemment, mais aussi en général, d’une cinquantaine de laboratoires internationaux d’une vingtaine de pays qui sont impliqués dans les grandes missions qui sont levées.
Et ce qui est intéressant, c’est que c’est open source tout ça et que les bases de données sont partagées par tout le monde. La moitié des publications sur ces 300, sont faites par d’autres gens qui posent d’autres questions, qu’on n’a même pas imaginé à l’époque. Comment lancer cette mission de collecte d’informations des océans pour mieux les comprendre.
Quelles solutions existent pour mieux protéger les océans ?
Donc comment protéger les océans ? Est-ce que c’est d’aller en mer, de surveiller ? Oui, mais pas seulement. Les grands enjeux, qui affectent ces écosystèmes ce sont les mêmes stress qui affectent l’écosystème terrestre. Le climat est, bien sûr, le premier stress à très forte inertie. Nous connaissons tous cette courbe d’accélération folle qu’il y a depuis maintenant une cinquantaine d’années. Pour participer à l’amélioration de cette courbe nous avons créé la plateforme Océan Climat.
C’est pour ça qu’on a fait avec le Musée maritime de La Rochelle, une exposition ici qui s’appelle Océans et Climat il y a deux ans. Nous avons aussi fait venir l’expo Océans avec la plateforme Océan Climat et la ville de La Rochelle. Il y a quelques mois, pendant la présidence française de l’Union européenne, nous avons parlé de ces enjeux : du lien entre l’océan et sa capacité à stocker de la chaleur, carbone… Pour protéger notre océan, il y a bien sûr notre action directe. Il faut diminuer notre action directe sur les écosystèmes, la surpêche et surtout la destruction des habitats.
Quelle est la conséquence de la pêche intensive ?
La surpêche est une chose, mais elle détruit aussi les zones d’écosystèmes pour se régénérer. Au Sénégal, la pêche est abusive. Il ne devrait plus y avoir de poissons, mais il y en a encore. N’importe quel autre écosystème sur la planète, en dehors de cet écosystème du Sénégal, n’aurait plus de poissons depuis très longtemps. C’est un phénomène physique de l’océan qui est très riche à cet endroit-là de la planète. C’est pareil au Chili et en Namibie.
Dans ces zones, on pêche peut-être 80% de la pêche déclarée dans le monde. Mais nous le savons, nous sommes en train de trop pêcher. Les espèces disparaissent et les tailles moyennes des poissons prélevés chaque année diminuent chaque année, ce sont des signaux.
On a passé du temps avec Tara au Sénégal pendant 15 jours à intervenir et à beaucoup interpeller les hommes politiques. Il faut les protéger les amarres, ce sont les outils très importants pour maintenir ces écosystèmes. Il ne faut pas en mettre partout. Parfois en France, malheureusement, on fait des aires marines protégées où on peut encore chaluter.
Au Sénégal, il y a un autre enjeu : la pêche chinoise. C’est assez hallucinant de voir dans le port 100 bateaux chinois. Ils ne sont pas trop contrôlés et font un peu ce qu’ils veulent au niveau de l’état sénégalais.
La pollution plastique, c’est un peu la partie émergée de l’iceberg de la pollution. Tout le monde l’a vu, tout le monde le voit sur les plages en France. En Europe, c’est très propre. Ce qu’on a fait depuis 30 ans, ça marche par rapport à ce qu’on voit en Afrique de l’Ouest. Ou au Brésil où on est passé avec Tara durant 2 ans maintenant non-stop. Nous sommes sur la bonne voie.
Qu’en est-il pour ce qui est de la pollution chimique ?
La pollution chimique, je n’en parlerai pas aujourd’hui car c’est un des travaux de la Fondation Tara pour les deux prochaines années. On va s’intéresser à ça autour de l’Europe. Le Rhône est à un gros débit. Donc on voit bien que finalement, toute cette pollution plastique qui arrive en mer, elle sort de nos territoires.
Le plastique, c’est un problème qui n’est pas vraiment en mer. Le problème est en mer mais la solution, elle est ici à terre. Elle n’est pas d’aller nettoyer parce que le temps qu’on nettoie, il y en aura 600 fois plus qui se déversera dans l’océan. Donc la solution, c’est comme le CO2 : il faut arrêter d’en produire. Quand on pêche du plancton, on pêche des bactéries, des virus, etc. Ça, c’est stocké dans les laboratoires pour analyses. Et puis on prélève aussi beaucoup de ces plastiques à la surface ainsi que les plastiques qui flottent, comme le polythène et le polypropylène.
Les mers sont polluées, mais qu’en est-il des autres points d’eau très importants ?
En 2019, avec le CNRS, nous avons effectué une mission de 10 mois à de La Rochelle pour s’intéresser à 9 des plus grands fleuves de l’Europe de l’Ouest. Dans les 100% des prélèvements qu’on a fait, il y en avait 5000, qui avaient du plastique sans exception. Ce qui était surprenant, c’est que tout ce qu’on trouvait dans ce qu’on avait rapporté, était du plastique déjà fragmenté, il n’y avait pas tant de macrodéchets mais beaucoup de micro-déchets.
Les plastiques qu’on y trouve sont dans l’environnement depuis 40 ans. Dans les cours d’eau, les plastiques trouvent finalement leur chemin vers la mer. L’enjeu du plastique est vraiment dans l’économie circulaire. Il est dans les lois, dans l’éducation. Le problème des plastiques, c’est qu’ils infectent les écosystèmes. C’est ce même plastique que l’on retrouve dans les intestins, dans les chaînes alimentaires.