Le saumon norvégien, réputé pour ses bienfaits nutritionnels et sa richesse en Oméga-3, traverse une crise sanitaire préoccupante. En 2023, les fermes piscicoles de Norvège ont enregistré la mort prématurée de près de 63 millions de saumons, un record historique. Cette hécatombe représente un taux de mortalité sans précédent de 16,7%, et ce chiffre ne cesse d’augmenter chaque année. Quels sont les risques pour l’homme ?
Causes et conséquences de cette mortalité inédite
Les principales causes de cette mortalité élevée incluent une série de maladies et de blessures subies par les poissons lors des opérations visant à les débarrasser des poux de mer. Ces parasites se nourrissent des saumons et causent de graves dommages. « La mort d’animaux est un gaspillage de vies et de ressources », déclare Edgar Brun, chef de la division santé et bien-être du poisson à l’Institut vétérinaire norvégien. Il souligne également l’importance de garantir les meilleures conditions de vie possibles aux poissons, ajoutant : « Nous avons une responsabilité morale et éthique envers ces animaux. »
En règle générale, les saumons morts prématurément sont transformés en aliments pour animaux ou en biocarburants. Cependant, il arrive que des poissons malades ou même morts soient vendus pour la consommation humaine. Selon les médias norvégiens, certains de ces poissons peuvent être commercialisés sous le label « supérieur ». Laila Sele Navikauskas, ancienne cheffe de qualité dans un abattoir, témoignait en novembre sur la chaîne NRK : « Je vois en vente du poisson que moi-même je ne mangerais pas. »
Le bien-être animal n’est pas seulement une question éthique mais aussi économique. Les 63 millions de saumons morts représentent près de 2 milliards d’euros de pertes. Truls Gulowsen, leader de Naturvernforbundet, critique une industrialisation excessive du secteur. « Nous avons génétiquement créé un poisson d’élevage qui a de mauvaises capacités de survie et qui meurt d’une combinaison de stress et de mauvais gènes parce qu’il a été sélectionné pour croître le plus vite possible et a subi un changement brutal de sa diète », dit-il.
Des risques pour la santé humaine ?
Malgré ces pratiques douteuses, les experts assurent que la consommation de ces saumons ne pose pas de risque majeur pour la santé humaine. Edgar Brun affirme : « Les agents pathogènes courants qui causent des maladies chez le saumon ne sont pas transmissibles aux humains. » Toutefois, ces révélations ternissent l’image de qualité que le secteur tente de promouvoir. Trygve Poppe, spécialiste de la santé des poissons, souligne l’importance de la transparence : « Si vous achetez de la viande dans un magasin, il est évident qu’elle doit provenir d’un animal abattu dans les règles et non pas trouvé mort en dehors de l’étable. »
L’Autorité norvégienne de sécurité alimentaire a pourtant noté des irrégularités dans les élevages lors d’une inspection sur deux en 2023. Ces inspections ont révélé du poisson blessé ou présentant des malformations qui ont été illégalement exportés. Robert Eriksson, chef de l’organisation Sjømatbedriftene, qui représente les petits producteurs, juge ces écarts « totalement inacceptables ». Il souligne l’importance de la confiance dans le secteur : « Nous vivons de la confiance. Prendre des raccourcis, c’est comme pisser dans son pantalon : ça ne réchauffe qu’un instant, puis on est puni par le marché et l’impact économique est beaucoup plus important que les quelques kilos supplémentaires qu’on aura vendus. »
Prise de responsabilité et pistes d’amélioration
Sjømat Norge, l’association représentant les grands groupes aquacoles, reconnaît les défis et affirme travailler à leur résolution. Geir Ove Ystmark, directeur de l’association, explique : « En moyenne, il faut trois ans pour élever un saumon. Il est donc difficile de voir des résultats immédiats même si nous avons lancé toute une série d’initiatives et de mesures. » Cependant, Trygve Poppe critique les conditions dans lesquelles les poissons sont élevés, les qualifiant de « terriblement mauvaises ». Il souligne que le saumon est soumis au stress tout au long de sa vie, de l’éclosion à l’abattage, et que la manipulation de la lumière et de la température pour accélérer leur croissance contribue à leur stress.
Sjømatbedriftene ambitionne de réduire la mortalité de moitié d’ici 2030, et le géant Salmar a investi plus de 40 millions d’euros pour améliorer les conditions d’élevage. Parmi les solutions envisagées, on trouve l’espacement accru des fermes aquacoles et l’adoption de nouvelles technologies, telles que des installations fermées où l’eau est filtrée. Cette technologie pourrait aider à se prémunir contre les poux de mer, bien qu’elle soit plus coûteuse.
Le gouvernement norvégien insiste sur la responsabilité des éleveurs à respecter les réglementations. Even Tronstad Sagebakken, secrétaire d’État au ministère de la Pêche, note : « Tous les producteurs n’affichent pas le même taux de mortalité, il est possible de le faire baisser. » Deux textes en préparation, l’un sur le bien-être animal et l’autre sur l’exploitation des mers, devraient contribuer à améliorer la situation. En attendant, l’Autorité de sécurité alimentaire continue de recevoir des signalements de saumons non conformes quittant le pays.
La situation du saumon d’élevage en Norvège soulève de nombreuses questions sur les pratiques d’élevage, la qualité des produits et le bien-être animal. Alors que le secteur travaille à améliorer les conditions d’élevage et à renforcer les réglementations, la transparence et la responsabilité restent cruciales pour maintenir la confiance des consommateurs et assurer la viabilité économique et éthique de cette industrie essentielle.