Une colère sociale en puzzle : analyse d’un historien

La société est traversée par « un mécontentement diffus » éparpillé façon « puzzle », selon Stéphane Sirot, historien des mouvements sociaux. Agriculteurs, taxis… pour différentes raisons, ils ne parviennent pas à « converger ».

Mouvements sociaux en France : une situation généralisée en Europe

« Il y a un mécontentement dans les sociétés européennes qui est de plus en plus généralisé, même au-delà des agriculteurs, avec par exemple un grand mouvement social des cheminots allemands. Ça bouge beaucoup, avec souvent les mêmes enjeux qui s’entremêlent, que l’on soit agriculteur, taxi, travailleur salarié, ou tout simplement citoyen touché par les questions inflationnistes… » explique Stéphane Sirot.

« Un des fils rouges des différentes contestations est la résultante de politiques menées depuis plusieurs décennies à l’échelle européenne qui ont consisté notamment à libéraliser à tout crin, à démultiplier des normes environnementales qui ont aujourd’hui tendance à craquer et à être de plus en plus contestées. On est sur cette problématique européenne et ce qui est en train de se passer aura immanquablement un impact sur les élections européennes de juin. »

Mobilisation syndicale : des liens fragiles entre agriculteurs et CGT

La CGT a appelé ses militants à rejoindre les agriculteurs, les taxis amplifient leur mobilisation. Stéphane Sirot explique que « dans le mouvement paysan il y a une frange traditionnellement plutôt proche de la gauche et des syndicats comme la CGT, mais c’est très minoritaire. Ce ne sont pas deux mondes qui majoritairement sont habitués à se retrouver. »

L’historien analyse que sur « sur les réseaux sociaux, les militants CGT sont très partagés: certains soutiennent le mouvement des agriculteurs et d’autres disent: +nous, quand on a bataillé sur les retraites, ils n’étaient pas là+. Et par ailleurs, les syndicats, y compris la CGT, sont plus sensibles que par le passé aux questions environnementales, un des enjeux du mouvement des agriculteurs. Il y a donc de nombreux facteurs qui rendent compliquée la fameuse convergence des luttes. »

« Les taxis, un peu comme les agriculteurs, sont de petits entrepreneurs. Et il y a toujours une sorte d’effet d’aubaine : quand il y a un grand mouvement social, ce n’est pas rare que d’autres mécontentements cherchent à se greffer. Mais en revanche, le monde du travail au sens salarié du terme, porté par les organisations syndicales, lui, est un peu étouffé après l’échec du mouvement sur les retraites. C’est un peu l’angle mort des mécontentements d’aujourd’hui. » ajoute-t-il.

Colères dispersées : les défis d’un manque d’idéologie unificatrice

Si ces colères ne s’agrègent pas, selon Stéphane Sirot, c’est qu’ « il y a un petit socle, peut-être un quart de la société, qui se sent bien, qui va bien. On est dans une société très polarisée, avec le reste de la société qui lui n’est pas content. Mais pour des raisons qui peuvent lui paraître différentes, ce qui gêne l’éventualité d’une sorte d’explosion sociale telle qu’on a pu en connaître en 1968. Ca donne une succession de mobilisations depuis 2016, parfois syndicales, parfois des gilets jaunes, aujourd’hui les agriculteurs. »

« Ça n’arrête pas. » constate-t-il.  « C’est symptomatique de ce mécontentement diffus qui touche les trois quarts de la société et dont on voit aussi l’impact politique avec la remontée des mouvements populistes d’extrême droite. »

« La convergence des luttes est compliquée par l’absence de superposition idéologique qui surplomberait tout ça. Jusqu’à la fin du XXe siècle les épreuves de la vie (discriminations, inégalités, etc.) étaient surplombées par de grandes idéologies, de grandes propositions politiques.

Aujourd’hui, aucune organisation politique ou syndicale n’arrive à cimenter toutes ces contestations. Ca explique ce côté puzzle des explosions sociales. Ce n’est jamais en même temps, mais ça n’arrête pas. » conclut-il.

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